Grèce: Tyrans et démocrates, par Michel Koutouzis

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Pauvre parti de la «Nouvelle Démocratie» ! Eternel Poulidor de la scène politique grecque, elle n’arrive qu’exceptionnellement au pouvoir, toujours avec des alliances contre nature. Les communistes par exemple, qui aujourd’hui tatillons idéologues quand il s’agit de s’associer  avec des partis de gauche ne trouvaient rien à redire en 1998 pour appuyer un gouvernement de  droite, juste pour pouvoir juger le premier ministre socialiste. Vous savez, le père de Georges Papandréou, celui par qui le scandale est arrivé. En balançant au monde entier les fausses statistiques servies à Eurostat par le seul gouvernement ND ayant gagné les élections depuis 1981 de manière autonome. Il aurait du se méfier : Son adversaire, Karamanlis, neveu de l’autre, celui qui s’opposa pendant un demi siècle au grand-père de Georges Papandréou, avait tout fait pour perdre les élections.

Un transfuge centriste, qui fut aussi le responsable de la fronde parlementaire qui aboutit au coup d’Etat des colonels, Mitsotakis, avait aussi gagné les élections. Pour perdre aussitôt. D’ailleurs monsieur Samaras, grand nationaliste et un tantinet anti-européen est aussi un transfuge. Ayant quitté la ND, il était revenu pour faire barrage à la fille de Mitsotakis qui espérait gagner les élections internes. Et qui quitta le parti dès le lendemain de la victoire de Samaras, pour le rejoindre à la veille des élections qui assuraient enfin son élection au parlement. Elle au moins, elle est « européenne ». Ella a toujours affirmé sa prédilection pour l’économie du marché et sa dérégulation. Moderne, quoi. Les voilà ces deux lascars à la tête d’une coalition hétéroclite, avec leur ennemi de toujours, le PASOK et les « modernistes » de gauche, encore un groupuscule « conséquent » par ce que « plutôt » « européiste ».    Cette fois, se dit Merkel « le compte est bon ».  Les « forces pro euro » l’ont emporté. Vraiment ?  Regardons de plus près : ND et PASOK ont perdu, ensemble, 50% de leurs électeurs.  La ND a eu 29, 66% des voix  et le PASOK moins de 13 %. Allez, ajoutons les 6% du DIMAR (la fameuse gauche « pro euro »). Total ? Un peu plus de 48%. Le reste des voix étant allé à des partis lesquels, quel que soit leur positionnement idéologique refusent les plans d’austérité et les termes de l’accord avec la Troïka.

Si la droite grecque laminée (129 députés) et le PASOK, ombre grotesque de lui-même (33) ont une majorité  cela n’est en aucun cas une victoire des partis pro euro, comme s’amuse à répéter le monde politique et journalistique, mais tout simplement le résultat d’une alchimie qui donne au premier parti un bonus de cinquante sièges (sur 300, excusez du peu). Avec moins de 2% de différence, Syriza a moins de 80 députés. Si ce parti était arrivé en première position, même avec 0,5 de différence, la situation aurait été diamétralement opposée. On aurait lu (et entendu) alors : victoire de la gauche radicale anti euro, ce qui serait au moins aussi mensonger que l’affirmation précédente.

Les partis désormais au pouvoir sont-ils  pour autant « pour », malgré le fait que PASOK et ND l’ont signé ? Bien sûr que non : pour faire barrage à Syriza qui, en quelques mois et deux élections, est passé de 4 à 28,69% des voix, les frères ennemis de la politique grecque ont dérivé vers des discours maximalistes exigeant la renégociation de l’accord. Et ils savent (ce que Mme Merkel semble ou fait semblant d’ignorer), que si il n’y a pas de progrès en ce sens, ils ne seront plus au pouvoir d’ici six mois, et seront balayés de la carte électorale dès les prochaines élections.

Syriza, n’a plus qu’à attendre. Il sera, plutôt vite que tard, au gouvernement. Pourquoi ? Tout simplement par ce que la politique de rigueur imposée à la Grèce et le discrédit des « forces pro européennes » qui ont signé le fameux « Mnimonio » n’ont pas disparu par un coup de baguette magique comme on espère croire. Les résultats électoraux indiquent clairement que les forces vives et productives de la nation grecque (18-54 ans), les professions libérales, les employés et ouvriers, les étudiants, les fonctionnaires, les entrepreneurs (mais aussi les chômeurs) etc., ont massivement voté pour ce parti. Seuls les retraités,  les paysans et les inactifs ayant voté en faveur des deux partis de la coalition. En d’autres termes, comme le souligne Eleftheros Typos, situé pourtant à la droite de l’échiquier politique, il n’ya que les moins informés et les plus terrorisés par les discours européens qui n’ont pas suivi les propositions du Syriza. Il suffit d’ailleurs de jeter un coup d’il à la carte électorale : les grandes îles, le bassin d’Athènes, et les régions les plus développées de la Grèce ont tourné, une fois encore, le dos aux deux partis de gouvernement désormais obsolètes.

Pour l’Europe, et les pays membres qui tremblent avant tout pour leurs propres banques, le message est clair, mais il faudra pourtant l’expliciter.  Pour cela, au terme de valeur, galvaudé et sali à volonté, opposons celui de bien qui s’associe parfaitement à l’expression de bien commun pour parler de la crise grecque, ou plutôt de la crise européenne.  Au Ve siècle av JC, Thucydide écrivait : Des biens que l’on considère comme essentiels semblent ne rien valoir là où seul le rapport de forces importe.  Y a-t-il une phrase plus actuelle que celle-ci ? Y a-t-il meilleure définition pour décrire ce qui se passe aujourd’hui en Grèce et en Europe ?  Y a-t-il meilleure approche pour commenter les déclarations du premier ministre britannique ou celles du grand argentier allemand ?

La crise européenne n’est pas liée à un possible détachement du noyau grec du fruit avarié européen. Il est lié à l’abandon del’esprit grec : au choix délibéré d’une caricature de démocratie formelle au dépends de la démocratie réelle. Au choix fait par les instances européennes et certains de ses pays – membres de privilégier le rapport de forces  pour imposer des choix qui n’existent pas. Utilisant comme stratagème des alternatives fictives (voir mensongères) jouant le rôle d’épouvantail.  Si nous sommes parfaitement  intégrés à l’esprit cynique et sadique de la City, nous sommes à des lieues de celui de la Cité.

Ne pas assumer la réalité, la tordre et la défigurer, utiliser les méandres de la propagande pour malmener les faits ce sont des outils tyranniques.  Choisir ce qui fait votre affaire et ignorer les éléments, pourtant innombrables, qui la contestent, ce sont les attributs des illusionnistes et des manipulateurs. Manipuler les résultats, les données, les enseignements, pour nier des impasses pourtant palpables, ce sont des habitudes de tricheurs, d’escrocs et surtout des bornés. Et tandis qu’on continue à accuser « les grecs » d’avoir manipulé des statistiques, on manipule allégrement les résultats des élections grecques, indiquant des victoires imaginaires et des défaites qui le sont autant. En oubliant que, même ces résultats, sont ceux de la peur, de chantages, et de pressions indignes pour toute démocratie qui se respecte et surtout pour ceux qui les profèrent. 

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