Source: Revue du Conseil Scientifique d’ATTAC « Les possibles » n°2,
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Vendredi 21 février 2014
« La garde de frontières ne peut pas se faire sans pertes et pour que je me fasse bien comprendre, elle ne peut pas se faire sans qu’il y ait de morts. » Thanassis Plevris, conseiller du ministère grec de la Santé, cadre du parti Nouvelle Démocratie « Cela a été la pire image de ma vie. J’ai vu mon bébé se noyer et il me regardait. Il continuait à me regarder jusqu’à ce qu’il disparaisse dans l’eau. » Ehsanullah Safi, réfugié afghan, rescapé du naufrage du 19/1/14 à Farmakonisi En novembre 2012 déjà, Giusi Nicolini, la maire de Lampedusa, avait lancé ce terrible appel : « Je suis scandalisée par le silence de l’Europe, qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix, face à une tragédie qui fait des milliers de victimes, atteignant les chiffres d’une véritable guerre (…) Quand on sait que pour ces personnes, la traversée en bateau est la dernière lueur d’espoir, alors je dis que leur mort est une honte et un déshonneur pour l’Europe. » La même se disait « de plus en plus convaincue que la politique d’immigration européenne considère ce bilan de vies humaines comme un moyen de modération du flux migratoire, sinon comme moyen de dissuasion » [1]. La preuve incontestable du bien-fondé de cette hypothèse sinistre fut apportée la nuit du 19 au 20 janvier dernier en mer Egée, avec la noyade des douze femmes et enfants tout près de la côte grecque, à Farmakonisi.
Douze de plus, douze de moins, avec le nombre de cadavres qui jonchent déjà les cimetières marins aux bords du territoire européen, cela ne change pas grand-chose, direz-vous. Dans la sinistre comptabilité de noyés – 136 selon l’estimation la plus basse depuis août 2012 seulement en mer Egée –, le chiffre 12 n’a pas de quoi réveiller les consciences et susciter un tollé. Sauf qu’ici, avec le naufrage à Farmakonisi en Grèce, nous avons la preuve irréfutable d’une stratégie délibérément criminelle : la dissuasion par la noyade. Car il ne s’agit nullement d’un fâcheux accident de plus, dû aux prises de risques inconsidérées de passeurs. À Farmakonisi, les douze femmes et enfants qui ont péri en mer ne furent point les victimes d’un naufrage dû aux intempéries ou aux avaries mécaniques ; leur mort a été délibérément causée par le comportement criminel de la garde côtière grecque qui, après les avoir remorqués à très grande vitesse vers la Turquie, leur a refusé tout secours une fois leur embarcation renversée.